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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/238

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page fût pure : il fallait qu’elle apportât son enseignement, qu’elle apprît ou insinuât une vérité saine et utile. Edgar Poe se hérissait à la pensée de faire servir la poésie à l’éducation de la nation autrement qu’en élevant les âmes dans la sphère de l’éternelle beauté. Il se retranchait dans la doctrine de l’art pour l’art avec une intransigeance qui le rendait agressif envers les écrivains d’une autre opinion. Non content d’avoir banni de son œuvre la créature morale, comme l’a très bien dit Barbey d’Aurevilly, il était impitoyable pour ceux qui lui réservaient la première place, ou seulement une grande place, dans leurs ouvrages. Il reprochait à Longfellow d’avoir la manie de réformer le monde par ses poésies, au lieu de se borner à tâcher de faire de bons vers : « — C’est un grand artiste, disait-il, et un idéaliste de haut vol. Mais sa conception de l’objet de la poésie est entièrement fausse… Sa didactique est invariablement hors de sa place. Il a écrit des poèmes brillants — par accident ; c’est-à-dire, quand il a permis à son génie de l’emporter sur des habitudes de pensée conventionnelles… Nous ne voulons pas dire qu’on ne puisse faire circuler un enseignement moral tout au fond d’une œuvre poétique ; mais on a toujours tort de l’imposer avec insistance, comme il le fait dans la plupart de ses œuvres… M. Longfellow… croit essentiel d’inculquer une morale… Le ton didactique prévaut dans sa poésie. Idées et images, tout est subordonné chez lui à la mise en lumière d’un ou plusieurs points qu’il considère comme la vérité. Et, tant que le monde sera plein de conventicules parlant le patois de Chanaan, il ne faudra pas s’étonner que ce système conserve d’austères défenseurs[1]. »

  1. Longfellow’s Ballads.