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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/333

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déjà vacillante. Ses vœux imprudents furent exaucés. Le rêve s’épancha dans la vie réelle, et ce fut d’abord une ivresse radieuse, une victoire éclatante de l’esprit sur la matière. La maladie l’avait transformé en voyant ; toutes ses visions étaient heureuses autant qu’éblouissantes, et il trouvait pour les décrire des accents d’une telle éloquence, que ses amis troublés se demandaient, en l’écoutant dérouler ses merveilleuses apocalypses, s’ils devaient le plaindre ou l’envier, et si l’état que les hommes appellent folie ne serait point, peut-être, « un état où l’âme, plus exaltée et plus subtile, perçoit des rapports invisibles, des coïncidences non remarquées, et jouit de spectacles échappant aux yeux matériels[1] ». Un autre poète, Charles Lamb, avait déclaré quelques années auparavant qu’il fallait lui envier les jours passés dans une maison de fous ; on lit dans une de ses lettres à Coleridge : « Parfois, je jette en arrière, sur l’état où je me suis trouvé, un regard d’envie, car, tant qu’il a duré, j’ai eu beaucoup d’heures de pur bonheur. Ne croyez pas, Coleridge, avoir goûté la grandeur et tout l’emportement de la fantaisie, si vous n’avez pas été fou. Tout, maintenant, me semble insipide en comparaison. » Tel, Gérard de Nerval, dans les commencements, endurait avec peine, l’accès passé, la privation de ce « qu’on eût pris plutôt, disait un de ses auditeurs ordinaires, pour les rêves cosmogoniques d’un dieu ivre de nectar, que pour les confessions et les réminiscences du délire ».

C’était la lune de miel de la folie, et elle est fragile comme toutes les autres. Gérard de Nerval passa bientôt des bizarreries de la pensée à celles des actes, et sa conduite de voyant devint difficile à faire

  1. Théophile Gautier, Notice.