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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/344

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Il alla trouver le cheik druse et lui demanda sa fille Saléma en mariage. Le cheik se frappa le front du doigt et dit : « Es-tu fou ? » Son interlocuteur ne se laissa point démonter. La différence des religions était le principal obstacle. Or, Gérard de Nerval était fils de franc-maçon, et de ceux pour qui la franc-maçonnerie est l’héritière de la doctrine des Templiers. Il avait découvert, d’autre part, que les Druses sont les descendants spirituels de ces mêmes Templiers, qui ont occupé leurs montagnes au temps des Croisades. Il était donc coreligionnaire, approximativement, du père de Saléma. Il le lui persuada, tira d’une de ses poches un diplôme maçonnique couvert de signes cabalistiques, et fit si bien que le cheik lui accorda sa fille. Celle-ci donna une tulipe rouge à son fiancé et planta dans le jardin un petit acacia qui devait croître avec leurs amours. Il ne restait plus qu’à fixer le jour des noces.

Un fou complètement fou serait allé jusqu’au bout et aurait épousé Saléma. Un demi-fou se donne au dernier moment des prétextes pour reculer. Gérard de Nerval fut détourné de son mariage par des augures. Les puissances supérieures lui envoyèrent plusieurs avertissements, dont le premier fut un escarbot, le dernier une fièvre qui l’obligea à changer d’air. Il écrivit de Constantinople au cheik pour dégager sa parole.

Il va de soi qu’à peine libre il fut repris du regret d’avoir perdu « l’uniquement aimée ». Il lui arrivait encore, de temps à autre, de se dire : « C’est elle ! » mais il n’en était plus bien sûr. La dernière fois qu’il crut deviner Adrienne sous une forme inconnue, il dînait avec un ami sous une treille, dans un petit village des environs de Paris : — « Une femme vint chanter près de notre table, et je ne sais quoi, dans