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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/356

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était Sylvie, son chef-d’œuvre. Nous l’avons citée souvent à propos d’Adrienne, de Jenny Colon et de la jolie dentellière qui lisait Rousseau. Sylvie est plus et moins qu’un rêve, qu’une autobiographie, qu’un roman ; c’est tout cela et c’est encore autre chose, quelque chose d’à part et de parfait. Toutefois, l’autobiographie domine. On voit au dénouement comment Gérard de Nerval était retourné une dernière fois chez Sylvie, la petite amie d’enfance qui avait représenté « la douce réalité » de l’amour à son imagination d’adolescent timide. Sylvie avait épousé le « grand frisé » et s’était établie pâtissière dans un gros village du Valois. Elle avait complètement dépouillé la paysanne, et ses airs d’héroïne de ballade populaire s’en étaient allés avec ses sabots. À l’entrée de Gérard, elle échangea avec lui « les coups de poing amicaux de l’enfance », puis ils allèrent promener les enfants tandis que le « grand frisé » faisait le déjeuner. Ils lurent des vers à l’ombre d’une ruine, et il l’appela Lolotte, et elle lui assura qu’il ressemblait à Werther ; mais la poésie prise dans les livres remplace mal celle qui émane des choses. L’ancienne Sylvie était bien morte, et il n’était que temps de tourner le dernier feuillet du chaste roman de leurs jeunes années.

La Revue des Deux Mondes publia Sylvie le 15 août 1853. Le 26, Gérard de Nerval se livra dans la rue à de telles excentricités, que la foule s’attroupa et faillit l’étouffer. Des amis le menèrent à l’hôpital de la Charité, où il fallut lui mettre la camisole de force : « Pendant la nuit, dit-il, le délire augmenta, surtout le matin, lorsque je m’aperçus que j’étais attaché. Je parvins à me débarrasser de la camisole de force, et, vers le matin, je me promenai dans les salles. L’idée que j’étais devenu semblable à un dieu et que j’avais le pouvoir de guérir me fit imposer les mains à quelques