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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/45

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ment le plus faible de tous les antagonistes qui se sont présentés devant moi, et je vais vous battre avec vos propres armes, puisque vos armes sont la raison. Vous parlez de folie ; mais lequel de nous deux est le fou ? D’après vous, je ne puis pas être le martyr Sérapion, parce qu’il est mort il y a des centaines d’années. Moi, il me semble qu’il y a trois heures à peine — puisque vous appelez cela des heures — que l’empereur Décius m’a fait supplicier. Pourquoi serait-ce vous qui avez la juste notion du temps et pas moi ? Vous prétendez que l’endroit où nous sommes n’est pas la Thébaïde, mais une forêt à deux heures de B*** ? Prouvez que c’est moi qui me trompe en voyant un désert où vous voyez des arbres ? »

Cyprien était lui-même trop réfléchi pour ne pas sentir la force de l’objection. Il garda le silence, et s’aperçut que les yeux du Père Sérapion riaient. Malgré leur querelle, ils se quittèrent bons amis, et Cyprien s’est souvent demandé depuis si les fous ne voyaient pas quelquefois plus loin que les prétendus sages.

Au fond, Hoffmann n’en était pas au même point que le Père Sérapion. Sa pensée pourrait se formuler ainsi : non seulement le monde que nous voyons n’est pas le seul possible, mais il n’est pas le seul existant. Le monde qu’il devinait, à côté de celui qui nous est familier, n’est pas jugé chimérique et impossible par tous les esprits rassis, puisqu’il se trouve en ce moment même des savants pour y croire et l’étudier, et que leurs observations, par une rencontre assez curieuse, vérifient le tableau que nous en avaient présenté les contes fantastiques d’Hoffmann.

Ces récits, dont l’ensemble forme une masse imposante, sont de valeur très inégale. On peut négliger,