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Page:Barine - Névrosés : Hoffmann, Quincey, Edgar Poe, G. de Nerval.djvu/55

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romantique qui mettait sa gloire à n’avoir ni ordre, ni suite, ni sens commun, à n’agir que par boutades et fantaisie : si jamais homme sembla prédestiné à être la honte d’une administration, c’est bien lui. Mais l’oncle Otto croyait à l’éducation. Il s’était juré de faire de son coquin de neveu un bon fonctionnaire, et il avait réussi. Grâce à lui, Hoffmann au bureau était un autre homme, ponctuel et laborieux, justement réputé pour la lumineuse précision de ses rapports. Le poète n’intervenait dans les affaires de l’employé que s’il se présentait quelque problème psychologique à résoudre ; Hoffmann se laissait alors entraîner par son imagination et était trop ingénieux dans ses déductions et conclusions. En toute autre circonstance, il était le parfait bureaucrate. Aussi ne fit-on point de difficulté de le replacer à Berlin (1814), dans un poste modeste, à la vérité.

Ce fut un temps heureux. Il était tranquille et libre, content de frayer avec quelques gens de lettres, et trop pauvre pour abuser des vins de cru ; il fut des mois sans pouvoir se griser, ou à peine.

Le succès le perdit. En 1816, la gloire lui arriva brusquement. Ce fut à la musique qu’il la dut. Hoffmann avait écrit un nouvel opéra, Ondine, qui fut joué à Berlin et très applaudi. L’auteur devint célèbre du soir au matin. Il fut le grand homme que les salons se disputent, que les belles dames encensent, et la tête lui tourna. Il dédaigna les poètes et autres pauvres diables, n’alla plus que chez les comtesses ou, à tout le moins, les présidentes.

Berlin avait alors des salons littéraires. Berlin donnait des « thés esthétiques » où l’on mangeait des tartines de beurre en écoutant des vers et en contemplant la face du génie. Hoffmann se fit contempler, ne trouva pas que ce fût aussi amusant qu’il l’avait cru, et en