Page:Barrès - La Colline inspirée, 1913.djvu/324

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aller. François, tendre et soumis comme il l’était, ne pouvait que mourir.

Toutes les épreuves, qui avaient tanné et durci Léopold, avaient délabré l’organisme, jadis si puissant, de François. Maintenant il se sentait à la merci d’un battement de son cœur affaibli. Il dut peu à peu renoncer à ses tournées de courtier d’assurances, et pour tuer l’ennui, il recourait aux distractions d’un vieux paysan. Il allait chercher des salades de pissenlit dans les herbes de la colline, ou bien à la saison cueillir les prunelles sur les haies de Vaudémont. Le bon géant avait toujours été un peu porté sur la bouche ; il excellait à distiller de ces petites baies une savoureuse eau-de-vie, et volontiers il faisait des politesses avec son élixir. Assis près de la fenêtre, dans les longues journées où Léopold était absent, il cherchait à entrer en conversation avec les passants. Ceux-ci étaient-ils désarmés par la transformation qui s’était produite dans le pauvre homme à mesure que l’on s’éloignait du temps où il était tout jovialité ? La maladie et la misère avaient-elles purifié à leurs yeux cette grosse figure, hier réjouie et maintenant toute bouffie ? Il y en avait qui ne faisaient plus difficulté pour entrer dans la maison de Marie-Anne, et certains même,