Page:Barrès - La Colline inspirée, 1913.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entonnèrent un Magnificat d’une puissance incomparable.

Léopold Baillard mêlait sa voix à ce formidable concert et animait du regard et du geste son petit cénacle enflammé. On se le montrait du doigt.

Bien qu’il eût, toute sa vie, obstinément tourné son visage vers le ciel, le vieillard, maintenant presque octogénaire, était courbé, cassé comme ceux qui ont passé leurs jours à lier la vigne ou bien à arracher les pommes de terre. Il portait son éternel pardessus sur sa lévite noire ; un feutre à larges bords jetait de l’ombre sur ses yeux étincelants ; un gros cache-nez de laine entourait son cou ; une immense gibecière, retenue aux épaules par une large courroie en cuir jaune, lui battait sur les reins. Elle était gonflée des armes célestes, croix de grâce et théphilins dont il s’était largement pourvu, en prévision de la tragédie divine qui allait se dérouler…

On se le montrait…… Quelques-uns ricanaient, un petit nombre se scandalisaient, mais ce n’était pas un mouvement d’horreur qu’éprouvait à son endroit cette foule exaltée : chez la plupart, il touchait des parties obscures de l’âme ranimées par la tristesse qui s’exhale d’un malheur national et par le