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Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/225

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MALLARMÉ

aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.

» Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le Dire, avant tout rêve et chant, retrouve chez le poète, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité ». Le livre exige donc un langage spécial, et ce langage est le vers.

4. Ceci posé, Mallarmé établit cependant une certaine distinction entre le vers et la prose au sens ordinaire de ces mots. L’un ne se distingue de l’autre que par ses dispositions typographiques. Les vers s’écrivent avec des blancs soit entre eux, soit entre les strophes. On peut multiplier les alinéas et varier s’il est nécessaire la ponctuation. Ces blancs, ces alinéas, ces ponctuations équivalent à des signes musicaux, dièses, bémols, rondes, blanches, noires, croches, soupirs et pauses. Mais en général le vers n’a guère besoin de ponctuation, le rejet à la ligne, les blancs intervallaires, qui suspendent la respiration et par conséquent modifient l’élocution, y suppléent dans une mesure presque partout suffisante. Le vers, en effet, jadis considéré comme un agrégat harmonieux de vocables, n’est en réalité qu’un seul mot, qui même, avec le temps, acquiert une originalité et une unité propre, quelque chose comme un proverbe sur une idée nouvelle, dont il suffit de prononcer le premier mot pour qu’aussitôt, instinctivement, mécaniquement, la mémoire ressuscite les autres : « Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole : niant d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d’élocution en même temps que la