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LE SYMBOLISME

période dépend essentiellement de l’importance que le poète accorde à l’idée suggérée. C’est le prétexte à des inversions extrêmement curieuses qui se justifient pleinement si l’on connaît les scrupules de l’auteur, mais qui pour le lecteur ordinaire contribuent à accentuer l’obscurité du style.

6. À ces tournures inaccoutumées, Mallarmé adjoint d’autres étrangetés qui ne portent plus sur la période, mais sur les termes. Dans l’intention de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », il emploie tel vocable dans son acception purement étymologique, alors que par la suite des années ce vocable s’est si éloigné de sa signification primitive que le fait de le vouloir restaurer équivaut presque à un changement de sens. Il lui arrive encore de transposer le genre des mots ; l’infinitif joue souvent chez lui le rôle de participe présent, quelquefois celui de substantif.

Si l’on ajoute à ces procédés de style, le souci de la musicalité des mots, l’effort presque constant pour découvrir à la fois le mot juste et le mot bien sonnant, la tendance même au cas où la précision ne s’accorderait pas avec la sonorité à sacrifier la première à la seconde, l’on comprendra combien la contention elliptique du style de Mallarmé peut assez souvent confiner à l’obscurité. Pour déchiffrer son vers, il faut posséder des qualités plutôt rares chez le lecteur ordinaire ; on doit savoir que la poésie est une énigme, derrière laquelle se dissimulent des rapports secrets, des concordances invisibles, qu’elle n’est jamais au fond ce qu’elle paraît être au premier examen. « Elle est l’expression par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence [1] », car le but du symbolisme, déclare Mallarmé, est « d’instituer une relation entre les images exactes, et que s’en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divination… Abolie la préten-

  1. Cf. la Vogue de 1886, p. 70, à la rubrique Curiosités.