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LES VERLAINIENS

gestation, agissent sur notre vie consciente avec une étrange intensité. Le conscient est pour Mæterlinck à la merci du subconscient.

Les puissances primitives sommeillent au fond de notre être, et ce sont elles qui déterminent nos actes, alors que nous ne songeons à les attribuer qu’à nos passions : « Nous possédons un moi plus profond et plus inépuisable que le moi des passions et de la raison pure… Ces choses peuvent plaire un instant comme des fleurs détachées de leur tige. Mais notre vie réelle et invariable, se passe à mille lieues de l’amour et à cent mille lieues de l’orgueil. » Ce qui intéresse le penseur, ce n’est donc pas les idées claires, mais cette partie mystérieuse de la vie « la meilleure, la plus pure, la plus grande, qui ne se mêle pas à la vie ordinaire ». La raison n’atteint pas cette vie cachée. Elle ne se révèle qu’à certains êtres d’une émotivité particulière, aux femmes, par exemple, qui, « elles, ont avec ces pouvoirs occultes des rapports qui nous sont interdits » et qui, grâce à leur spontanéité, savent des choses que nous ne savons pas. Elles sont douées d’un sens spécial, le sens mystique. Le poète doit avoir comme elles reçu ce don de la nature. Ce sixième sens lui révèle que la vie des êtres et des choses n’est pas du tout ce qu’elle apparaît aux yeux du vulgaire. En l’homme, elle est pleine de nouveautés incessantes. Dans le monde extérieur, elle est faite de surprises sans nombre : « C’est à certains moments seulement et lorsqu’on les regarde que les choses se tiennent tranquilles comme des enfants sages et ne semblent pas étranges et bizarres ; mais dès qu’on leur tourne le dos, elles vous font des grimaces et vous jouent de mauvais tours [1]. » Le sage ne doit donc observer cette vie qu’avec une admiration épouvantée. Le théâtre de Mæterlinck révèle les découvertes que le sixième sens a fait faire au poète dans l’exploration du monde objectif ; sa poésie, les

  1. La Princesse Maleine.