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LES MALLARMÉENS

du temps nécessaire à l’expiration du souffle. Si la recherche musicale est légitime en poésie, elle ne doit pas en effet nuire « aux plis sculpturaux des poèmes ». Alors que le vers libre a perdu « toute noblesse d’aspect graphique », le vers fixe à l’avantage « de conserver les richesses acquises au cours de ce siècle de la statuaire et du dessin » [1].

Les divisions de l’hexamètre ont aussi une valeur organique ; l’émotion, le sentiment, l’idée, inscrivant des intervalles accentués durant le temps de l’expiration totale. Il suffit de prendre garde que ces intervalles ne peuvent être équidistants. D’une part, en effet, chaque pensée crée son rythme spécial ; d’autre part la hauteur, l’intensité, la longueur des timbres vocaux en harmonie avec l’idée, déterminent la place réelle et toujours variable des césures. Il s’ensuit que l’ancienne métrique a eu tort de partager l’alexandrin en divisions égales : « Le poète coupe son vers comme il l’entend. » C’est le précepte libéral de Banville et le seul acceptable de l’avis de René Ghil. Aussi infinie que soit la variété des coupes, l’hexamètre marque donc très fortement par la fixité de son nombre, le rapport des parties entre elles et par la similitude de son cadre avec les hexamètres voisins rappelle dans la composition d’un poème « l’identique battement de mesure ». Il conserve aux vers l’unité d’allure. Ainsi endigué, le rythme peut se permettre toutes les fantaisies possibles. Comme il est l’essence même de la poésie, la rime n’a qu’une utilité accessoire en vue d’un effet déterminé. Quant à la strophe, avec ses différents alinéas qui marquent la transition entre les idées ou les sensations, elle constitue un jeu formel sans intérêt poétique. René Ghil la remplace par des périodes d’hexamètres d’une massivité plastique qu’il juge somptueuse et qu’il superpose comme des « blocs marmoréens ».

  1. De la Poésie scientifique, II. L’Instrumentation verbale, le Rythme évoluant.