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LE SYMBOLISME

l’Inconscient et mêlons ce Jourdain au Gangue des Ancêtres [1].

L’Art n’a pas d’autre fonction que d’enregistrer les caprices de l’Inconscient. Il fixe pour l’avenir les manifestations instinctives et éphémères de l’être humain, car l’Inconscient étant tout, tout ce qui vient de lui ne manque ni de valeur ni d’intérêt. Au reste, « la pensée humaine, succession d’œuvres et d’idéaux à l’état de phénomènes en concurrence, exprime l’évolution de l’âme universelle, de la Loi unique, au dynamisme de qui ou de quoi elle est soumise à travers ses incohérents et riches gaspillages [2] ». Elle exprime la vie sous tous ses aspects. Elle résume la marche de l’humanité vers un but supérieur. C’est pourquoi le sens esthétique est changeant comme la vie. C’est pourquoi l’art porte en lui-même sa raison suffisante. Erreur que de vouloir en faire l’instrument d’expression d’un Beau idéal et fixe. « Moi, créature éphémère, un éphémère m’intéresse plus qu’un héros absolu, de même que moi, homme habillé, une créature en toilette éphémère m’intéresse plus qu’un modèle nu sculptural. Pour moi, humain, créature incomplète et éphémère, un impassible ravagé comme Leconte de Lisle, un corrompu nostalgique se débattant dans le fini, est plus intéressant, est plus mon frère, que Tiberge et tous les Desgenais… Les uns sont des hypertrophiés, les autres des châtrés, parce que jamais, Dieu en est témoin, la pauvre humanité n’a produit un héros pur et que tous ceux qu’on nous cite dans l’antiquité sont des créatures comme nous, cristallisées en légendes — ni Boudha, ni Socrate, ni Marc-Aurèle — je voudrais bien connaître leur vie quotidienne [3]. » Erreur aussi d’asservir l’art à la morale. L’œuvre qui exprime un caractère bienfaisant, déclare Taine, est supérieure à l’œuvre qui exprime un caractère malfaisant. La formule est fausse et dangereuse. « En art, répond Laforgue, il s’agit d’être

  1. Inédits de Laforgue, p. 51.
  2. L’Art moderne en Allemagne, p. 293.
  3. Notes d’esthétique. Revue blanche, 1896, t. XI, p. 484.