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Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/251

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JOURNAL

Je rentrai à minuit, avec l’oncle et Nina.

Pétersbourg gagne, la nuit ; je ne connais rien de plus superbe que la Néva garnie de lanternes contrastant avec la lune et le ciel bleu foncé, presque gris. Les défauts des maisons, des pavés, des ponts sont fondus, la nuit, par les ombres complaisantes. La largeur des quais apparaît dans toute sa majesté. Le pic de l’Amirauté se perd dans le ciel, et dans un brouillard d’azur bordé de lumière, on voit la coupole et la forme gracieuse de la cathédrale d’Issakië, qui semble elle-même une ombre flottante descendue du ciel.

Je voudrais être ici en hiver.


Mercredi 9 août (28 juillet) 1876. — Je suis sans le sou. Agréable situation. Étienne est un excellent homme, mais il froisse toujours mes sentiments délicats. Ce matin je me suis mise en colère, mais une demi-heure après, je riais comme si rien n’était, chez les Sapogenikoff.

Le docteur Tchernicheff était là et j’avais envie de lui demander un remède contre mon enrouement, mais je n’avais pas d’argent et ce monsieur ne fait rien pour rien. Position très délicate, je vous assure. Mais je ne pleure pas d’avance, le désagrément est bien assez ennuyeux lorsqu’il arrive, sans qu’on le pleure d’avance.

À quatre heures, Nina et les trois Grâces partaient en carrosse pour la gare de Peterhoff. Les trois habillées de blanc sous de longs cache-poussière.

Le train allait partir, nous montâmes sans billet, mais munies de l’escorte de quatre officiers de la garde qui se laissèrent sans doute tenter par ma plume blanche et par les talons rouges de mes Grâces. Donc, nous voici, moi et Giro, comme de nobles chevaux