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Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/253

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JOURNAL

pus m’arracher de ce portrait ; beauté plus parfaite et plus agréable ne se peut rêver. Giro s’enthousiasmait avec moi et nous avons fini par embrasser le portrait sur les lèvres. A-t-on remarqué le plaisir que donne un baiser de portrait ?

Nous avons fait comme toutes les demoiselles de l’Institut feraient, c’est la mode d’adorer l’Empereur et les grands-ducs ; d’ailleurs ils sont tous si parfaitement beaux qu’il n’y a en cela rien d’étonnant, mais j’ai emporté de ce baiser de carton une mélancolie étrange et de quoi rêver pendant une heure. J’ai adoré le Duc quand j’aurais pu adorer un prince impérial de Russie ; c’est bête, mais ces choses-là ne se commandent pas, et puis je considérais dans le commencement H… comme mon égal, comme un homme pour moi. Je l’ai oublié. Qui va être mon idole ? Personne. Je chercherai la gloire et un homme.

Le trop-plein de mon cœur débordera comme il a débordé au hasard, sur le chemin, dans la poussière, mais sans vider ce cœur constamment rempli par des sources généreuses qui ne tariront jamais dans ses profondeurs.

Où avez-vous lu cela, mademoiselle ? Dans mon esprit, fichus lecteurs.

Me voilà donc libre, je n’adore personne, mais je cherche celui que j’adorerai. Il faut que cela soit bientôt ; la vie sans amour est une bouteille sans vin. Mais encore faut-il que le vin soit bon.

La lanterne de mon imagination est allumée, serais-je plus heureuse que le sale fou qu’on nommait Diogène ?


Samedi 12 août (31 juillet). — Tout était prêt, Issayevitch m’avait dit adieu, les Sapogenikoff étaient