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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

suis loin de la laideur. En pensant à moi quand j’aurai vingt ans, je fais claquer ma langue… À treize ans j’étais trop grasse et on me donnait seize ans. Aujourd’hui je suis mince, entièrement formée d’ailleurs, remarquablement cambrée, peut-être trop ; je me compare à toutes les statues et je ne trouve rien d’aussi cambré et d’aussi large des hanches que moi. Est-ce un défaut ? Mais les épaules demandent une ligne de plus en rondeur. — Je disais donc, oui, que je demandais un thé, on me servit un samovar, vingt-quatre morceaux de sucre et de la crème pour cinq tasses de thé. L’un et l’autre exquis. J’ai toujours aimé le thé, même mauvais. J’ai bu cinq tasses (petites) avec de la crème et trois sans crème, en vraie Russe.

Les vrais Russes et leurs deux capitales sont pour moi entièrement nouveaux.

Avant d’aller à l’étranger je ne connaissais de la Russie que la petite Russie et la Crimée.

Les rares paysans russes qui venaient à la campagne comme marchands ambulants nous semblaient presque des étrangers et on se moquait de leurs costumes et de leur langue.

J’ai beau dire tout ce que je veux, il n’en est pas moins vrai que mes lèvres ont noirci depuis le baiser profanant.

Gens sages, femmes cyniques, je vous pardonne votre sourire de mépris pour ma candeur affectée !… Mais, en vérité, je crois que je m’abaisse jusqu’à admettre de l’incrédulité ? Faut-il encore que je jure ?… Ah ! non, il