Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/468

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et sa splendide demeure ; la tête dorée d’Éva et ses yeux célestes ; son jeune maître, si fier, si gai, si beau, si affectueux sous ses dehors insouciants ; les heures faciles, les doux loisirs, — tout a disparu ! et que reste-t-il à la place ?

C’est là une des plus grandes misères de l’esclavage. Le noir dont la nature sympathique s’assimile aisément à tout ce qui l’entoure est sans cesse exposé, après avoir vécu au sein d’une bonne famille, et y avoir puisé un certain raffinement de goûts et de sensations, à devenir l’esclave du plus grossier, du plus brutal manant ; de même qu’une chaise ou une table, qui ornait jadis un splendide salon, finit boiteuse et déformée dans quelque sale bouge ou dans quelque hideux repaire de débauche. L’énorme différence c’est que la table et la chaise sont insensibles, et que l’homme ne l’est pas ; car l’acte légal qui le déclare « propriété personnelle, » saisissable, vendable et taillable à merci, ne saurait lui enlever son âme et tout ce qu’elle contient de souvenirs, d’espérances, d’amour, de craintes, de désirs.

M. Simon Legris avait acheté, à la Nouvelle-Orléans, huit esclaves, qu’il conduisait pieds et poings liés, accouplés deux à deux, à bord du vapeur le Pirate, qui stationnait à la levée, prêt à remonter la rivière Rouge.

Après avoir embarqué sa marchandise et congédié le bateau, il vint faire sa ronde avec l’air de grossière activité qui le caractérisait. Il s’arrêta vis-à-vis de Tom, qui avait revêtu, par ordre, pour paraître à la vente, son meilleur habit de drap, son linge le plus blanc, ses bottes les plus propres, et lui dit :

« Lève-toi ! »

Tom se leva.

« Ôte-moi cette cravate ! » Gêné par ses menottes, Tom procédait lentement à l’opération ; Legris l’y aida, il la lui arracha brusquement du cou, et la mit dans sa poche.