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Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/12

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outre leur vie normale et régulière, une autre existence psychologique, ou, comme on dit, une condition seconde, dont ils ne gardent point de souvenir au retour de l’état normal ; le caractère propre de cette condition seconde, c’est qu’elle constitue une existence psychologique complète ; le sujet vit de la vie commune, il a l’esprit ouvert à toutes les idées et à toutes les perceptions, et il ne délire pas. Une personne non prévenue ne saurait pas reconnaître que le sujet est en état de somnambulisme.

Les meilleurs exemples qu’on puisse citer de ce somnambulisme que nous venons de définir, se trouvent dans les observations déjà anciennes d’Azam, de Dufay et de quelques autres médecins. Ces observations sont aujourd’hui bien connues, banales ; elles ont été publiées et analysées dans une foule de recueils médicaux et même purement littéraires ; mais nous espérons que les recherches récentes de psychologie expérimentale sur les altérations de conscience ajouteront quelque chose de nouveau à ces faits anciens ; nous les étudierons à un point de vue un peu différent de celui sous lequel on les a envisagés jusqu’ici, et peut-être arriverons-nous à mieux les comprendre. Considérés tout d’abord comme des phénomènes rares, exceptionnels, comme de véritables curiosités pathologiques, faites pour étonner plutôt que pour instruire, ces dédoublements de la personnalité nous apparaissent maintenant comme le grossissement d’un désordre mental qui est très fréquent dans l’hystérie et dans des états voisins.

Une des observations les plus célèbres est celle de la dame américaine de Mac-Nish[1] : « Une jeune dame instruite, bien élevée, et d’une bonne constitution, fut prise tout à coup et sans avertissement préalable d’un sommeil profond qui se prolongea plusieurs heures au delà du temps ordinaire. À son réveil, elle avait oublié tout ce qu’elle savait, sa mémoire n’avait conservé aucune notion

  1. Mac-Nish, Philosophy of sleep, 1830. L’observation appartient, paraît-il, à Mitchell et Nott et a paru pour la première fois en 1816.