Aller au contenu

Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

assisté à ces expériences peuvent le savoir. Une description ne saurait en donner qu’une image bien affaiblie et imparfaite.

« Au lieu de concevoir un type, elles le réalisent, l’objectivent. Ce n’est pas à la façon de l’halluciné, qui assiste en spectateur à des images se déroulant devant lui ; c’est comme un acteur, qui, pris de folie, s’imaginerait que le drame qu’il joue est une réalité, non une fiction, et qu’il a été transformé, de corps et d’âme, dans le personnage qu’il est chargé de jouer.

« Pour que cette transformation de la personnalité s’opère, il suffit d’un mot prononcé avec une certaine autorité. Je dis à A… : « Vous voilà une vieille femme » ; elle se voit changée en vieille femme, et sa physionomie, sa démarche, ses sentiments sont ceux d’une vieille femme. Je dis à B… : « Vous voilà une petite fille » ; et elle prend aussitôt le langage, les jeux, les goûts d’une petite fille.

« Encore que le récit de ces scènes soit tout à fait terne et incolore comparé à ce que donne le spectacle de ces étonnantes et subites transformations, je vais cependant essayer d’en indiquer quelques-uns.

« Voici quelques-unes des objectivations de M… :

« En paysanne. Elle se frotte les yeux, s’étire. « Quelle heure est-il ? quatre heures du matin ! » (Elle marche comme si elle faisait traîner ses sabots…) « Voyons, il faut que je me lève ! allons à l’étable. Hue ! la rousse ! allons, tourne-toi… » (Elle fait semblant de traire une vache…) « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons, Gros-Jean, laisse-moi tranquille, que je te dis !… Quand j’aurai fini mon ouvrage. Tu sais bien que je n’ai pas fini mon ouvrage. Ah ! oui, oui ! plus tard… »

« En actrice. Sa figure prend un aspect souriant, au lieu de l’air dur et ennuyé qu’elle avait tout à l’heure. « Vous voyez bien ma jupe. Eh bien ! c’est mon directeur qui l’a fait rallonger[1]. Ils sont assommants, ces directeurs. Moi

  1. « C’est une femme, très respectable mère de famille, et très religieuse de sentiments, qui parle. »