Aller au contenu

Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

se répand en menaces contre elle ; prise d’un affreux désespoir, elle se pend. Mais ses mesures sont mal prises, ses pieds renversent une table, les voisins accourent et on la rappelle à la vie. Cette épouvantable secousse n’a rien changé à son état. Elle s’est pendue en condition seconde, en condition seconde elle se retrouve. « Comme je serais heureuse, disait-elle deux jours après, si j’avais ma crise (c’est ainsi qu’elle désigne ses courtes périodes de vie normale) ; alors au moins j’ignore mon malheur. » Elle l’ignore, en effet, si bien que pendant les périodes suivantes d’état normal, rencontrant cette femme, elle la comble de prévenances et de marques d’amitié.

En 1882, Félida vit à peu près toujours en condition seconde ; la vie normale, avec sa perte de souvenir si caractéristique, n’apparaît plus qu’à des intervalles de quinze jours à trois semaines et ne dure que quelques heures ; les périodes de transition, qui ne duraient que quelques minutes, se sont réduites à quelques secondes ou à une durée si inappréciable que Félida, qui veut que son entourage ignore sa maladie, peut les dissimuler complètement. Après quinze jours, un mois, deux mois, apparaissent de courtes périodes de vie normale précédées et suivies de transitions inappréciables. Leur apparition est quelquefois spontanée, mais elle est le plus souvent provoquée par une contrariété quelconque ; les apparitions spontanées ont surtout lieu la nuit.

Dans les premières années de la maladie, la vie ordinaire de Félida était tourmentée par des manifestations douloureuses des plus pénibles, et son caractère était triste, même sombre et taciturne. Cette tristesse, à un moment, a été telle que la malade a tenté de se suicider, tandis que, par opposition, les périodes de condition seconde étaient caractérisées par l’absence des douleurs et par une grande gaieté. En un mot, Félida avait, en même temps que deux existences, deux caractères absolument différents. Petit à petit, soit sous l’influence des années et des épreuves de la vie, soit par toute autre cause, les condi-