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Page:Boutroux - De la contingence des lois de la nature.djvu/131

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donné aux autres êtres du même ordre ; mais le changement survenu dans ces êtres doit avoir eu, lui aussi, une raison déterminante ; et si, dans l’ensemble, la quantité d’action demeure constante, les phénomènes ne pourront être qu’un circulus, où la contingence n’aura aucune place. L’âme considérée en général n’explique pas plus les caractères particuliers de tel sentiment, de telle conception, de telle intention, que la force considérée en général n’explique la direction du mouvement.

Il semble donc qu’il faille renoncer à toute contingence dans l’ordre des phénomènes de l’âme, si l’on admet d’une manière absolue la loi de la conservation de l’énergie psychique, la proportionnalité des sensations, idées, résolutions avec leurs antécédents psychologiques. Mais cette loi est-elle nécessaire ?

On ne peut la considérer comme donnée à priori analytiquement, puisque l’idée des opérations psychologiques n’implique pas un degré déterminé d’énergie, comme condition de leur existence.

Elle n’est pas non plus un jugement synthétique à priori puisque le penchant de l’homme est, au contraire, de croire qu’il dispose de ses actes. Cette loi est une connaissance expérimentale, et ne peut prétendre qu’à une nécessité de fait.

Or cette nécessité elle-même lui appartient-elle ?

Si l’on perce la première enveloppe des choses, on trouve sans doute que la variété infinie que présente la surface du monde psychologique n’existe pas dans le fond. Même dans l’ordre moral, sous les dehors changeants, il y a des couches de plus en plus solides. Sous la disposition du moment, il y a le caractère individuel, sous le caractère individuel les mœurs du temps, puis le caractère national, puis enfin la nature humaine. Or la nature humaine demeure sensiblement la même.