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Page:Boutroux - De la contingence des lois de la nature.djvu/159

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tion, non pas à dominer les choses, mais à s’y conformer, à s’anéantir devant elles.

En somme, dans cette doctrine, à un monde de phénomènes où tout est lié nécessairement se superpose un monde d’actions où tout est lié de la même manière. Il ne peut donc être question, pour les êtres particuliers, de liberté personnelle. Il n’existe qu’un être libre. Tout ce qui n’est pas cet être suprême est absorbé dans le système de ses déterminations.

Mais cet être lui-même est-il vraiment libre ?

Sans doute, il a pu créer ou ne pas créer, choisir tel monde plutôt que tel autre. Pourtant son choix a été soumis à cette restriction, de ne porter que sur un monde où tout fût lié, où tout se ramenât à une unité logique. De plus, l’acte de cet être est unique et immuable : toute intervention spéciale dans la production des phénomènes lui est interdite. Son œuvre même s’impose désormais à lui comme un fatum inexorable.

Si donc la doctrine de la conciliation admet une liberté sans limites, c’est en la plaçant dans des régions si élevées, si éloignées des choses, que son action se perd dans le vide.

Telles ne sont pas les suites de la doctrine de la contingence. Elle ne se borne pas à ouvrir devant la liberté, en dehors du monde, un champ infini, mais vide d’objets où elle puisse se prendre. Elle ébranle le postulat qui rend inconcevable l’intervention de la liberté dans le cours des phénomènes, la maxime suivant laquelle rien ne se perd et rien ne se crée. Elle montre que ce postulat, s’il était admis d’une manière absolue, engendrerait une science purement abstraite. Elle découvre, dans les détails mêmes du monde, des marques de création et de changement. Elle se prête donc à la conception d’une liberté qui descendrait des