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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/88

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

de son fils avait été sacrifiée à une aussi méprisable ambition, à une passion aussi mesquine !

Il prit l’enfant sur ses genoux et l’embrassa tendrement.

Sa pensée se reporta de vingt-cinq ans en arrière, pendant que ses lèvres pressaient la charmante petite tête, il croyait voir son propre fils, ce fils qu’il avait chassé, mêlant ses doux cheveux avec sa rude barbe grise.

« Mon enfant, murmura-t-il doucement, ma seule crainte est de t’aimer trop, d’avoir pour toi autant de faiblesse et d’indulgence que j’ai eu de rigueur pour ton père. Rien n’est plus difficile à l’humanité que de rester dans les limites de la justice. »

Il dit cela à lui-même plutôt qu’à l’enfant.

« Dis-moi ton nom, mon petit ? demanda-t-il après quelques instants de pensive méditation.

— J’ai deux noms, monsieur.

— Il faut que tu m’appelles grand-papa. Quels sont ces deux noms ?

— François-Gustave.

— Je t’appellerai Gustave.

— Mais papa m’appelait toujours François ; maman disait que c’était le nom d’un homme cruel, mais papa disait qu’il aimait ce nom-là.

— Ah ! assez !… mon petit !… s’écria tout à coup le maître de Beaubocage ; tu ne sais pas à quel point tu enfonces le poignard dans mon pauvre vieux cœur. »