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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/109

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LA FEMME DU DOCTEUR

posséder des droits incontestables au culte de Mlle Sleaford. Elle aurait voulu s’asseoir aux pieds d’un Byron, fier, sombre, morose, livrant son front d’ivoire aux vents nocturnes et tonnant contre la bassesse et l’ingratitude de l’espèce humaine. Elle aspirait à être l’esclave choisie de quelque créature dédaigneuse, qui, peut-être, la maltraiterait ou la négligerait. Je crois qu’elle eût adoré un Bill Sykes aristocrate et qu’elle se fût estimée heureuse de mourir de sa main cruelle, pourvu que ce fût dans une salle démantelée d’un château gothique, par un clair de lune faisant étinceler dans l’éloignement les pics neigeux de la chaîne des Alpes, au lieu de l’atroce mansarde prosaïque de la pauvre Nancy. Puis le comte Guillaume de Sykes aurait des remords et élèverait une croix de bois sur le chemin de la montagne, à la mémoire de — Αναγκη, et un beau matin on le trouverait étendu au pied du mystérieux monument, couvert d’un long manteau noir dont les plis dessineraient ses formes royales, et mort de la rupture d’un vaisseau quelconque.

Il n’est pas de rêves si insensés, il n’est pas d’imaginations si puériles qui ne se logeassent dans l’esprit d’Isabel pendant les longues soirées d’oisiveté pendant lesquelles, assise, seule, dans la chambre d’étude, elle suivait l’apparition des étoiles qui scintillaient faiblement dans le crépuscule, et les progrès de l’obscurité dans les prairies, alors que des lumières indécises commençaient à briller dans les rues de Conventford. Parfois, quand ses élèves dormaient profondément dans leurs lits à rideaux blancs, Izzie descendait doucement et allait se promener lentement dans le jardin par un beau clair de lune, — par un de ces clairs de lune qui faisaient paraître Juliette plus belle