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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/134

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LA FEMME DU DOCTEUR.

sait-elle en contemplant les cailloux multicolores, les herbes aquatiques flottantes que la limpidité de l’eau laissait voir et sachant en même temps, grâce à la double vue féminine, que George la regardait avec adoration. Elle ne l’aimait pas, mais elle aimait à l’entendre parler ainsi. Ces paroles qu’elle entendait pour la première fois étaient délicieuses à cause de leur nouveauté, mais elles n’empruntaient aucun charme aux lèvres qui les prononçaient. Le premier jeune homme venu, de bonne façon et de mise correcte, eût produit absolument le même effet que George. Mais elle n’en avait pas conscience en ce moment. Il lui était si facile de se tromper sur le plaisir que lui causait la situation, le pont rustique, l’eau limpide, l’éclat d’une journée de printemps, et même la légère influence d’un verre de Bourgogne, mais, surtout, le sentiment d’être une héroïne pour la première fois de sa vie… il était si facile de prendre tout cela pour ce qu’elle n’éprouvait pas !… de l’affection pour George !

Tandis que le jeune homme continuait son plaidoyer et qu’Isabel l’écoutait, rougissante et lui lançant timidement des regards de ses yeux magiques qui en ce moment paraissaient noirs sous leurs longs cils soyeux, Sigismund et les enfants parurent dans l’éloignement à la porte du cimetière, appelant et criant, pour annoncer que le thé était servi.

— Isabel, — s’écria George, — ils viennent et il s’écoulera longtemps peut-être avant que je retrouve l’occasion d’un tête-à-tête. Isabel… chère Isabel !… dites-moi que vous voulez bien me rendre heureux… que vous voulez bien être ma femme !

Il ne lui demanda pas si elle l’aimait ; il en était