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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/141

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LA FEMME DU DOCTEUR

parloir de Graybridge, attendant son retour après une journée de visites, était une vision si puissante que la tête lui en tournait. Est-ce vrai… cela pouvait-il être vrai… que tout cet indicible bonheur allait lui appartenir ?

Graduellement, pendant que Brown Molly suivait lentement les sentiers ombreux qui mènent de Hurstonleigh à Waverly, sa joie silencieuse déborda et chercha des paroles pour s’exprimer. Jeffson avait toujours été le confident de George : pourquoi ne le serait-il plus, en ce moment que le jeune homme avait un si grand besoin de verser dans une oreille amie le récit de son bonheur ?

Cependant le jardinier paraissait moins disposé qu’à l’ordinaire à prendre sa part du plaisir de son maître ; il s’était tenu quelque peu à l’écart, et, dans une circonstance ordinaire, George n’aurait pas eu l’occasion de rompre la glace. Mais ce soir-là Jeffson semblait atteint de mutisme, et George fut obligé de hasarder une question préliminaire.

— Que pensez-vous d’elle, Jeff ? — demanda-t-il.

— De qui, Master George ? — demanda simplement le brave homme.

— Parbleu, d’Isa, de Mlle Sleaford, — répondit George d’un ton légèrement indigné : y avait-il au monde une autre femme dont il pût parler ce soir-là ?

Jeffson resta quelques instants silencieux, comme si la question qui lui était faite l’obligeait à descendre dans les replis les plus profonds de son esprit avant qu’il pût y répondre. Il resta silencieux, et le bruit des sabots des chevaux sur le chemin troubla seul, avec le vol furtif de quelque oiseau égaré dans le taillis, le profond silence de la nuit.