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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/176

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LA FEMME DU DOCTEUR.

claré qu’elle n’était qu’une paresseuse et une égoïste, capable de s’asseoir sur l’herbe à lire des romans pendant que sa famille périrait dans les flammes. Les garçons regardaient leur sœur consanguine avec cette expression de pitié et de mépris que tous les jeunes garçons ressentent à l’égard d’un être assez faible pour être une fille.

M. Sleaford aimait beaucoup sa fille unique, mais il l’aimait surtout parce qu’elle était jolie et que ses yeux ne ressemblaient qu’à ceux de la jeune femme qui lui avait été enlevée si jeune.

Personne n’avait donc compris Isabel, et George était le dernier homme qui pût comprendre la femme qu’il avait choisie pour épouse. Il l’aimait, il l’admirait, et il désirait sincèrement qu’elle fût heureuse ; mais il voulait la rendre heureuse selon l’idée qu’il se faisait du bonheur et non pas à son point de vue à elle. Il voulait la voir enchantée des petites soirées guindées, pendant lesquelles les demoiselles Pawlkatt et les demoiselles Burdock, et la jeune Mme Henry Palmer, femme de M. Henry Palmer, le jeune avoué, discouraient agréablement sur les derniers modèles de travaux au crochet ou sur le dernier mémoire populaire d’un prêtre évangélique défunt. Isabel ne prenait aucun intérêt à ces choses et n’éprouvait aucun bonheur dans cette société. Malheureusement elle le laissa voir, et, après plusieurs soirées de ce genre, l’aristocratie de Graybridge s’éloigna d’elle, se bornant à de rares visites par égard pour George, que l’on plaignait sincèrement du choix malencontreux qu’il avait fait.

Isabel fut donc laissée à elle-même, et, insensiblement, elle retomba dans le même genre de vie qu’elle avait mené à Camberwell.