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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/179

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LA FEMME DU DOCTEUR

heurs domestiques comme il est rarement donné à un homme d’en rencontrer,

Mme Gilbert n’était pas jolie. Les dames de Graybridge vidèrent la question pendant la première soirée à laquelle George et sa femme n’assistèrent pas. Elle n’était pas jolie… quand on la regardait de près ; c’était sur cette finesse que reposait cette critique féminine. De loin, assurément, Mme Gibert pouvait faire de l’effet. La dame qui trouva ces mots : « Faire de l’effet, » eut beaucoup de succès auprès de ses amies. De loin, Isabel pouvait « faire de l’effet » aux personnes qui aiment les yeux d’une grandeur démesurée et les lèvres assez rouges pour donner l’idée de la fièvre scarlatine. Mais en examinant Mme Gilbert, cette apparence de beauté s’évanouissait et il ne restait plus qu’une jeune femme chétive, à traits insignifiants, et à chevelure épaisse et noire, — une chevelure si massive et si commune qu’il n’y avait certainement pas lieu d’être fière — comme Isabel l’était sans doute — de sa longueur et de son volume extraordinaires.

Mais tandis que les dames de Graybridge critiquaient sa femme et prophétisaient pour lui toutes sortes de mésaventures effroyables, chose étrange, George était très-heureux. Il avait épousé la femme qu’il aimait, et pas un instant l’idée qu’il avait mal placé son amour et qu’il s’était marié trop tôt ne lui entra dans l’esprit. Lorsqu’il rentrait au logis, après une journée laborieuse, il trouvait pour le recevoir une femme charmante, — une femme adorée et adorable qui lui mettait les bras autour du cou, l’embrassait, et lui souriait. Il n’était pas homme à s’apercevoir que ce baiser gracieux, que cette caresse, que ce sourire, étaient des gestes presque machinaux et irréfléchis. Il