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LA FEMME DU DOCTEUR

même pâturage, qu’une jolie femme douée d’une âme ardente et altérée.

Mme Gilbert pensait à Londres, — à ce magique West End, perle de Londres, qui n’a rien de commun avec le grand désert métropolitain qui l’entoure. Elle pensait à ce Saint des saints, à ce sanctuaire de la vie dans lequel toutes les femmes sont jolies, tous les hommes sont dangereux, et dont l’existence est un tourbillon de bals, de dîners, de fleurs de serre chaude, et de désespoir. Elle pensait à cette existence inconnue et se la représentait ; elle frémissait à l’idée de sa splendeur et de son éclat, tout en s’asseyant près de la cascade bavarde, en écoutant le tic-tac du moulin et le clapotement des herbes dans l’eau. Elle se voyait au milieu des lumières et de la musique de cet autre monde, reine d’un boudoir discrètement éclairé, où l’on admirait, disséminées sur les tapis et sur les meubles, des fourrures d’hermine étincelante de blancheur ; où, parmi des effets confus produits par mille objets éclatants et le mélange de toutes les couleurs, elle s’asseyait, ou plutôt se blottissait au milieu des coussins soyeux d’un meuble doré, — sorte de galère de Cléopâtre pour le coin de feu, — et écoutait dédaigneusement (elle se croyait toujours dédaigneuse) les compliments éloquents du prince dangereux. Puis c’était le Park ! elle s’y voyait parfois montée sur un cheval arabe, — un cheval noir, — qui s’emporterait à l’heure où la promenade est le plus encombrée, et qui courrait risque de la tuer en admettant qu’elle pût être tuée ; mais elle le maîtriserait comme aucune femme ne maîtrisa encore un coursier arabe, et reprendrait son allure tranquille entre deux haies de spectateurs partagés entre l’effroi et l’admiration, ses