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LA FEMME DU DOCTEUR

promenant sur la pelouse, le cigare aux lèvres, avec l’air d’un homme fatigué… fatigué de lui-même et de toutes choses. — Il m’a aimée autrefois ; c’est quelque chose que ce souvenir.

Lansdell trouvait bien longues les journées passées à Lowlands. La maison était belle, un peu vieille et démodée, mais de bonne façon néanmoins ; la table excellente, la cave parfaite, et avec cela une femme élégante et accomplie, toujours disposée à causer avec lui et à le distraire. Néanmoins, cette existence était vide, terne, et sans profit pour ce jeune homme qui vivait de la sorte depuis dix ans et avait vidé la coupe des plaisirs jusqu’à la lie. C’était vide, terne, ennuyeux, et inutile par la raison que l’âme humaine ne peut être satisfaite en état de péché, et qu’une existence sans but et oisive est en état de péché. Lansdell ne croyait pas à cela. Il ne connaissait pas de guide plus autorisé que la morale humaine, et, se jugeant d’après cette loi, il s’imaginait avoir bien agi. Il avait fait de son mieux et il avait ignominieusement échoué : il avait donc conquis le droit d’être oisif après cette défaite.

— On rirait d’un homme qui passerait sa vie à écrire des poèmes épiques quand le monde refuserait de lire le moindre vers de ses œuvres. Par conséquent, on ne saurait exiger d’un homme qu’il continue à essayer d’améliorer la position de gens qui ne veulent pas qu’on s’occupe de leur bien-être. J’ai essayé des ouvriers et l’on m’a repoussé dédaigneusement. Ces gens-là étaient assurément dans leur droit. Je voudrais bien savoir comment j’accueillerais un réformateur qui essayerait de me remettre dans la bonne voie, de soumettre mes loisirs au compas et à la mesure, qui dépenserait mon argent pour moi et m’enseignerait