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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/238

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LA FEMME DU DOCTEUR.

au théâtre et tomber amoureux fou au premier regard.

Elle prit un volume écorné parmi les œuvres de l’immortel William sur un des rayons poudreux de l’une des étagères ; elle monta à sa chambre, s’y enferma, et se mit à implorer la grâce de Cassio, pleurant et protestant en face du miroir devant lequel trois générations de prosaïques Gilbert s’étaient successivement rasés.

Elle n’avait que dix-neuf ans : c’était une enfant ayant pour tout ce qui est brillant et beau le désir ardent qui distingue les enfants. Il n’y avait pas bien longtemps que ses désirs avaient été éveillés par une charmante petite poupée exposée à l’une des vitrines de Walworth Road. Le mariage ne lui avait pas encore donné l’air digne de la mère de famille. Elle n’avait ni devoirs, ni soucis domestiques, car le simple ménage était entretenu par Mathilda, qui eût été offensée de la moindre intervention de sa jeune maîtresse dans ses attributions. Isabel descendait parfois à la cuisine lorsqu’elle ne savait que faire de sa personne, s’asseyait dans le vieux fauteuil à bascule, et se balançait nonchalamment en suivant de l’œil l’excellente Tilly faisant un pâté.

Il existe quelques jeunes femmes qui prennent goût à une existence domestique tranquille, et qui sont douées d’un génie naturel pour les pâtés et les puddings et pour tailler et confectionner avec cet entrain et cette grâce qui poétisent la pauvreté. Lorsqu’un homme désire entrer en ménage avec trois cents livres de revenu, il fait sagement de chercher une de ces fées du foyer. Isabel n’avait pas de goût pour ces choses ; pour elle la confection de la pâtisserie était une