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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/312

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LA FEMME DU DOCTEUR.

avait été autrefois une cheminée, dans le but de s’assurer s’il y avait une place suffisante pour y loger un cadavre. Il escaladait des élévations vertigineuses et projetait des sauts périlleux et des promenades effroyables sur le bord des corniches suspendues dans l’espace ; en un mot, il se livrait à toutes les prouesses qui arrêtent la respiration du lecteur et qui rendent presque inévitable la vente des numéros suivants.

Les orphelines suivaient Smith, et se montraient ravies des petites chambres qui se dissimulaient dans les coins du château en ruines. Comme il aurait été charmant d’avoir des chaises, des tables, et des ustensiles de cuisine et de vivre éternellement là-dedans, chez soi ! Elles enviaient les grossiers enfants qui habitaient la tour carrée près de la porte et qui voyaient les ruines tous les jours que Dieu fasse.

La matinée était charmante. Il y avait dans l’esprit de Lansdell un singulier mélange de satisfaction et d’ennui, tandis qu’il marchait à côté d’Isabel et qu’il écoutait, ou semblait écouter les paroles de Raymond. Il aurait voulu avoir la main d’Isabel appuyée sur son bras ; il aurait voulu voir ces grands yeux noirs étonnés fixés sur son visage ; il aurait voulu qu’elle entendît de sa bouche les légendes romanesques des murailles croulantes et de la salle de banquets dont le toit s’était effondré. Et cependant peut-être ce qui était était-il préférable. Il s’en allait bientôt presque immédiatement pour ainsi dire ; l’éloignement allait lui rendre impossible ce simple plaisir ; il était donc préférable qu’il ne s’oubliât pas dans des séductions qui allaient promptement être refusées à son existence désolée. Oui, son existence désolée. Il en était venu à penser à son sort avec un regret amer et à se regarder,