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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/315

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LA FEMME DU DOCTEUR

sincèrement à Clotilde et à la duchesse, et s’abîma humblement dans sa propre insignifiance en comparaison de ces vagues et splendides créatures.

Roland parla enfin ; si ses paroles avaient contenu quelque chose de raisonnable ou de simplement prosaïque il aurait pu se produire une révolution heureuse dans l’esprit d’Isabel ; mais son langage concordait heureusement avec l’endroit et l’heure, il était incompréhensible et mystérieux, — comme la nuit qui obscurcissait graduellement le ciel.

— Je pense qu’il y a un certain moment où la vie d’un homme est virtuellement finie, — dit-il. — Je pense qu’il existe une fin convenable et légitime pour la carrière de chaque homme, et que cette fin est aussi visible que la chute du rideau après le spectacle. Il continue à vivre ; c’est-à-dire qu’il mange et qu’il boit, et qu’il absorbe une certaine quantité de mètres cubes d’air pur chaque jour, peut-être pendant un demi-siècle encore, mais cela ne signifie rien. Les acteurs ne vivent-ils pas après la chute du rideau ? Hamlet rentre chez lui, soupe, morigène sa femme, et gronde ses enfants, mais l’exaltation et la passion qui ont créé le prince de Danemark se sont éteintes comme le feu de coke du foyer des acteurs. Il n’est pas douteux que cette seconde vie ne soit le châtiment, la contre-partie des quelques courtes heures dorées d’espérance et de plaisir. Je ne regrette pas que les Lansdell ne soient pas doués de longévité, Raymond ; car je crois que la pièce est jouée et que le sombre rideau est tombé pour moi !

— Hum ! — murmura Raymond, — n’y a-t-il pas quelque chose dans ce goût-là dans l’Étranger ? C’est très-joli, Roland, — cette espèce de caquetage de dés-