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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/53

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LA FEMME DU DOCTEUR

exigences des consommateurs capricieux du salon public ou des habitués dînant dans les salons particuliers au premier étage. Sigismund était plongé dans l’étude d’une grande feuille de papier ayant l’aspect d’une table chronologique, et sur les marges blanches de laquelle les additions des repas pris antérieurement et payés, avaient été griffonnées à la hâte par les garçons épuisés. Smith demeura pendant longtemps absorbé dans l’examen de ce mystérieux document ; aussi George s’amusa-t-il à contempler des fresques couleur café au lait qui étaient censées représenter la baie de Biscaye et le cap de Bonne-Espérance, avec des vagues noirâtres roulant tumultueusement sous un ciel fuligineux. George regardait ces images et un monsieur plongé dans l’occupation absorbante du payement de l’addition ; puis les pensées du médecin se mirent à vagabonder du petit restaurant Boujeot au jardin de Sleaford, et il revit le pâle visage et les yeux noirs à reflets d’or d’Isabel, brillant mystérieusement dans le crépuscule. Il pensait à Mlle Sleaford parce qu’elle ne ressemblait à aucune des femmes qu’il avait vues et il se demandait si elle plairait à son père. « Pas beaucoup, » se disait-il ; car M. Gilbert le père voulait chez une jeune femme un soin particulier de sa chevelure et Isabel ne brillait pas par là, et de l’expérience dans l’art de conduire une maison et de surveiller une servante. Il n’était pas vraisemblable qu’Isabel possédât ces qualités, puisque son occupation favorite était de se balancer dans un fauteuil de jardin et de lire des romans.

Le dîner parut enfin avec accompagnement de couvercles d’étain sur les plats, que le garçon tira un à