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DE LADY AUDLEY

de livres tout déchirés entre les mains, et hésita un instant.

« Je veux garder ceci dehors, murmura-t-il ; il peut y avoir dans l’un de ces débris quelque renseignement qui me vienne en aide. »

La bibliothèque de George ne se composait pas d’une très-brillante collection d’ouvrages littéraires. Il y avait un Ancien Testament en grec et la grammaire latine d’Eton, une brochure française sur l’exercice du sabre dans la cavalerie, et un petit volume de Tom Jones avec la moitié de sa couverture de cuir qui ne tenait que par un fil, un Don Juan de Byron, imprimé en caractères si fins qu’ils devaient avoir été inventés au profit spécial des oculistes et des opticiens, et un gros volume relié en rouge avec des dorures passées.

Robert Audley ferma la malle à clef et prit les livres sous son bras. Mistress Maloney était occupée à enlever les restes de son dîner quand il rentra dans le salon. Il plaça les livres à l’écart sur une petite table dans un coin à côté de la cheminée, et attendit patiemment que la femme de ménage eût terminé son ouvrage. Il n’était même pas en humeur de recourir à sa consolatrice, la pipe en écume. Les romans à couverture jaune qui étaient sur les rayons au-dessus de sa tête lui semblaient surannés et sans intérêt. Il ouvrit un volume de Balzac ; mais les boucles dorées de la femme de son oncle voltigeaient et frémissaient, dans un brouillard lumineux, sur la diablerie métaphysique de la Peau de chagrin et les hideuses horreurs sociales de la Cousine Bette. Le volume tomba de sa main, et il resta à observer impatiemment mistress Maloney relevant les cendres du foyer, regarnissant le feu, tirant les rideaux de damas sombre, approvisionnant les canaris, et mettant son bonnet dans le cabinet qui n’avait jamais entendu de consultation,