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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/13

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LES OISEAUX DE PROIE

élevé, fixant d’un air rêveur la flamme du foyer, et elle aurait voulu l’interroger sur son voyage.

Mais Sheldon n’était pas un homme à faire ce qu’il avait résolu de ne pas faire, même pour être agréable à sa nourrice. Il était bon maître, payait les gages de ses domestiques très-ponctuellement et ne leur donnait pas grand mal ; mais avec lui, il était de notoriété publique que les bavardes perdaient leur temps. Nancy Woolper, soyons poli, Mme Woolper le savait bien, et elle en avait fait la remarque à sa voisine, Mme Magson, le soir, en faisant un bout de causette après dîner. On peut vivre des années entières dans un quartier sans savoir ce que sont ses voisins ; mais dans les offices seigneuriaux du West End, aussi bien que dans les plus modestes cuisines des faubourgs, les domestiques des maisons les moins mondaines auront beau faire, à un jour donné, ils ne pourront se soustraire à l’offre de quelque autre politesse faite par les domestiques voisins.

« Vous pouvez ôter le couvert, Nancy, dit à ce moment Sheldon, sortant tout à coup de la rêverie dans laquelle il avait paru absorbé pendant les dix dernières minutes ; j’ai beaucoup à travailler et j’attends George dans le courant de la soirée. Rappelez-vous que je n’y suis que pour lui seul. »

La vieille rangea sur le plateau la théière et le reste, mais elle ne cessa de regarder son maître. Il était assis, la tête un peu inclinée, et ses yeux noirs, obstinément fixés sur le foyer, avaient cette lueur intense, particulière que l’on remarque dans le regard de ceux dont la vue, dépassant l’objet sur lequel elle semble s’attacher, s’en va loin par delà les choses de la réalité. Nancy observait ainsi son maître très-souvent ; elle ne pouvait s’habituer à considérer l’enfant qu’elle avait fait sauter