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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/133

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LES OISEAUX DE PROIE

doux Tom ; il réglait sa vie d’après ses propres convenances ; mais il lui achetait de très-belles robes et la prenait toujours avec lui lorsqu’il courait la ville en calèche de louage. Il lui arrivait souvent de laisser Georgy et la calèche au coin d’une rue ou devant la porte d’un café, quelquefois pendant une heure. Elle ne tarda pas à s’y habituer ; elle se munit d’un roman qui, dans ces conjonctures, l’aidait à passer le temps. Si Tom l’eût ainsi laissée, toute seule, en pleine rue, elle n’eût pas manqué de se mettre l’esprit à la torture pour découvrir la trahison de son mari et ses soupçons jaloux, tout de suite, se seraient éveillés. Mais Sheldon avait je ne sais quelle sévère gravité qui rendait impossibles les suppositions de ce genre ; chacune de ses actions semblait poursuivre un but sérieux ; sa vie, dans son ensemble, apparaissait comme une chose réglée, immuable et sa femme se soumettait à lui comme elle se fût soumise à l’action de quelque puissante machine, compliquée et terrible, telle que la science moderne a su en construire.

Elle lui obéissait aveuglément et était heureuse d’assouplir sa vie à ses désirs. Elle sentait vainement d’ailleurs qu’essayer de lutter contre cette volonté eût été peine perdue. Peut-être y avait-il même quelque chose de plus dans son esprit, comme la demi-conscience d’un mystère effrayant, qui se dérobait comme un fantôme dans l’ombre du passé. À cet égard, elle avait peur de sa propre impression et se refusait à l’examiner de trop près. C’était une craintive petite femme ; elle se jugeait assez heureuse dans le présent et ne se souciait pas de soulever les voiles de l’avenir ou d’interroger le passé. Elle n’imaginait pas qu’il y eût, de par le monde, des gens assez vils pour supposer que Sheldon l’avait épou-