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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/135

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LES OISEAUX DE PROIE

pas la conscience de ce sentiment de dépendance ; elle était ainsi faite qu’elle acceptait sans examen tout ce qui lui était proposé par un esprit plus fort que le sien. Elle lui obéissait à peu près comme un enfant obéit à un bienveillant maître d’école. Cet état de choses ne lui était pas pénible : peut-être se trouvait-elle aussi heureuse qu’il était dans sa nature de l’être, car elle n’avait aucune disposition exaltée ni pour le bonheur, ni pour le chagrin ; elle éprouvait du plaisir à avoir pour époux un bel homme de belle tournure et de tenue parfaite. La seule idée qu’elle se faisait d’un mauvais mari était celle d’un homme rentrant tard, venant de lieux mystérieux et déshonnêtes, fréquentés par des êtres non moins mystérieux et tout aussi peu honnêtes. Comme Sheldon sortait rarement après dîner, qu’il était le plus sobre des hommes, elle le considérait naturellement comme le véritable modèle de la perfection conjugale. C’est ainsi que la vie domestique s’était écoulée assez doucement pour Sheldon et sa femme pendant les neuf premières années de leur mariage.

Quant aux dix-huit mille livres qu’elle avait apportées à Sheldon, Georgy ne le questionna jamais à ce sujet. Elle jouissait d’un luxe qu’elle n’avait jamais connu du temps de Tom, et elle acceptait avec une joie facile ce bien-être qui lui venait de son second mari. Sheldon était devenu agent de change ; il avait un bureau dans un passage situé près de la Bourse. D’après son propre aveu, il avait triplé la fortune de Georgy depuis les neuf années qu’elle était entre ses mains. Comment le malheureux chirurgien-dentiste avait-il tout à coup pu devenir un opulent spéculateur ? C’était un problème trop compliqué pour que Georgy entreprît d’en chercher la solution. Elle savait que son mari avait un intérêt