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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/168

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LES OISEAUX DE PROIE

dans la conduite de Valentin à son égard avaient été de nature à justifier son illusion ; il faut donc pardonner à cette pauvre fille, sans expérience et sans protection, son premier rêve d’amour. Elle y avait mis sa vie tout entière. Elle entrevoyait l’avenir avec son Valentin, loin de son père et de ses fourberies ; ils vivraient comme ils pourraient en faisant de la littérature, de la musique, du dessin, n’importe quoi. Comme tous les bohèmes, elle avait un penchant marqué pour les arts libéraux ; elle ne se vit jamais dans un comptoir, tripotant des étoffes, des affaires. Ils se logeraient dans quelque rue près de la Tamise, iraient tous les soirs au spectacle ou au concert, et pendant l’été passeraient leurs journées dans les parcs, les terrains communaux des faubourgs, où elle lui ferait la conversation ou la lecture, selon son caprice, pendant que couché tout de son long sur l’herbe, les yeux mi-clos, il l’écouterait en fumant des cigares. Avant sa vingtième année la femme la plus fière est disposée à considérer celui qu’elle aime comme une créature supérieure, et dans le sentiment qu’éprouvait Diana pour ce pauvre diable et ce triste sire, il y avait un mélange de crainte et de respect.

Peu à peu, ce beau rêve de jeune fille s’était évanoui. Le palais enchanté élevé par l’imagination ardente de la pauvre enfant s’était écroulé sous les rudes coups de la philosophie pratique de Valentin. Lui !… être coupable d’aimer, de se marier par amour ; lui, qui parlait comme un homme dont le cœur est à jamais fermé à l’émotion, et dont les propos cyniques et cruels faisaient frissonner Diana ! Comme elle l’aimait, elle s’obstinait à croire à son amour. Quelquefois elle avait cru découvrir dans sa voix une inflexion plus douce, dans son regard rêveur comme une sollicitude plus attentive ; mais, au moment