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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/6

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LES OISEAUX DE PROIE

immaculée du No 14 de Fitzgeorge Street semblait une sorte d’insolence permanente adressée aux autres maisons, ses humbles voisines. Le No 14 faisait un contraste pénible avec l’entourage pauvre, presque sale. Les rideaux de mousseline du parloir du No 15 étaient jaunis, fanés par la fumée, et l’éclatante blancheur des rideaux du No 14 soulignait cruellement leur misère. Mme Magson, la logeuse du No 13, se donnait un mal d’enfer, frottait, époussetait du matin au soir ; mais la pauvre femme perdait sa peine, et elle se désespérait en pensant qu’elle aurait beau faire elle ne parviendrait jamais à rendre les dalles de ses marches et le bouton de sa porte aussi luisants, aussi nets que ceux du No 14.

Non contente d’être un véritable modèle de respectabilité, l’impertinente maison affichait même parfois je ne sais quelles prétentions à l’élégance. Elle s’était fait une mine aussi élégante que possible pour les environs d’Holborn. Sur les fenêtres l’on voyait de gais géraniums très-bien portants, ce qui, comme chacun sait, est chose rare pour le géranium, lequel jouit généralement d’une santé déplorable. Des cages d’oiseaux se dessinaient dans l’ombre douce des rideaux de mousseline et les reflets des briques nouvellement repiquées se fondaient dans la teinte verte des stores vénitiens. Sur la porte de la rue, fraîchement vernie, étincelait une large plaque de cuivre. Et tout cela, les marches blanches, les géraniums écarlates, les stores verts, le rayonnement métallique de la plaque de cuivre, vous avait un air opulent qui, tout compte fait, n’était pas trop déplaisant.

Les privilégiés admis à visiter l’intérieur de la maison en sortaient avec un sentiment d’envie et d’admiration et n’en finissaient pas quand ils commençaient le récit