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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/87

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LES OISEAUX DE PROIE

pour le capitaine. Mais de temps en temps, dans les clubs, il rencontrait quelque jeune homme qui, n’ayant pas de femme au logis pour veiller sur sa bourse et se lamenter sur un billet de cinq livres mal dépensé, avait encore pitié du prodigue tombé, et croyait ou faisait semblant de croire à son histoire d’embarras d’argent momentanés. Ces jours-là, le capitaine dînait magnifiquement dans quelque restaurant français, prenait une demi-bouteille de chablis avec des huîtres et se réchauffait avec du chambertin qu’on lui apportait dans une bouteille couverte de poussière et de toiles d’araignée, étendue dans un panier d’osier, comme il convient à tout vin de race noble.

Mais, dans ces derniers temps, des rayons de soleil bienfaisants avaient rarement illuminé le triste cours de la vie du capitaine. Les désenchantements, les ennuis s’étaient installés comme à demeure dans son existence ; le succès n’y montrait plus sa face joyeuse qu’à de très-rares intervalles. Lorsqu’il traversait la rivière pour gagner l’ouest de la ville, il avait coutume de flâner sur le pont de Waterloo et de regarder mélancoliquement couler l’eau. Il se demandait si le fleuve se trouverait là, près de lui, à sa disposition, lorsque, protégé par la nuit et ayant donné son dernier sou pour le péage du pont, il ne connaîtrait plus le besoin d’une monnaie terrestre.

« Un jour, j’ai vu un gaillard à la Morgue, un pauvre malheureux qui s’était noyé. Grand Dieu ! qu’il était horrible à voir !… Si au moins on était reconnu… on serait enterré proprement, et, mourir pour mourir, autant mourir ainsi qu’autrement… Mais être trouvé dans cet état et rester couché dans la cabane des asphyxiés, au bord de la rivière, avec un écriteau pourri,