Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
LES OISEAUX DE PROIE

les beaux quartiers. Toujours vers l’Ouest, à travers la pluie et l’orage, il retournait vers les lieux où s’étaient écoulés sa jeunesse et ses beaux jours, errant et déclassé, pour revoir la lueur rougeâtre des feux brillants des clubs se refléter sur les vitres, pour revoir les lampes des grands salons de lecture s’allumer de bonne heure au crépuscule de l’automne, et admirer la douce clarté qui se répandait sur les riches reliures des livres, pour se perdre dans le rouge sombre des tentures de l’appartement. Pour cette pauvre créature mondaine, l’angoisse d’être exilée de ces palais était plus amère que la souffrance de l’ange déchu. C’était l’époque de l’année la plus triste, et il n’y avait pas beaucoup d’élus dans ces somptueux salons de lecture où les lampes avec leurs abat-jour, jetaient leurs pâles et nets rayons sur la splendeur du sanctuaire. Le capitaine Paget pouvait donc errer ainsi sur le théâtre de sa jeunesse envolée sans craindre beaucoup les reconnaissances. Mais ces excursions devinrent de jour en jour plus inutiles. Il commença à comprendre pourquoi les gens n’étaient jamais chez eux lorsqu’il frappait à leurs portes et faisait entendre son élégant coup de marteau. Il ne put endurer plus longtemps l’humiliation de semblables rebuffades ; il vit bien que les domestiques connaissaient le but de ses visites aussi bien que leurs maîtres et avaient leurs réponses toutes faites à quelque heure du jour qu’il se présentât. Il cessa d’assiéger les portes de ses anciennes connaissances. Le rideau dont il avait couvert sa vie de folie, était percé à jour. Il sentit qu’il ne lui restait plus qu’à mourir.

Il semblait à cette époque que la fin de tout était proche pour lui. Le capitaine prit froid un soir qu’il s’en retournait chez lui : ses habits ruisselaient et ses