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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/96

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LES OISEAUX DE PROIE

toute sa vie, il avait eu horreur des femmes qui pleurent ; elle l’ennuya.

« Est-ce oui ou non, ma chère ? » demanda-t-il un peu contrarié.

Anna leva vers lui ses yeux pleins de larmes et d’un air effrayé :

« Oh ! oui, monsieur, si je puis vous être bonne à quelque chose, vous soigner quand vous serez malade, et travailler pour vous jusqu’à ce que mes doigts soient usés jusqu’aux os. »

Elle tordait ses mains en disant cela. Elle se voyait déjà travaillant pour son Dieu, son héros, le gentleman dont les bottes vernies avaient été comme la promesse d’un monde supérieur, plus beau cent fois que celui qu’elle habitait. Mais le capitaine modéra ses transports par un geste doux de ses blanches mains amaigries.

« Voilà qui est dit, ma belle, dit-il d’un ton languissant. Je ne suis pas encore très-fort, et tout ce qui ressemble à de l’embarras, m’est on ne peut plus pénible. Ah ! ma pauvre enfant ! si vous aviez vu un dîner chez le marquis de Hertford, vous auriez pu vous rendre compte de ce qu’on pouvait faire sans bruit et sans embarras. Mais je vous parle là de choses que vous ne comprenez pas. Vous serez ma femme et une bonne, obligeante, et obéissante petite femme, je n’en doute pas. Voilà qui est arrangé. Quant à ce qui est de travailler pour moi, mon cher amour, tout ce que ces jolies petites mains pourraient faire pour moi, ce serait de me gagner un cigare dans la journée. Or, il est rare que je n’en fume pas six par jour : donc, vous voyez que tout cela n’est que du sentiment dépourvu de sens commun, c’est de l’enfantillage. Maintenant vous pouvez éveiller votre chère mère, car j’ai besoin de faire un petit somme