Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/212

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si peu conformes aux traditions, que nul ne saurait régler sur elles sa conduite et son ardeur au travail. Si personne ne peut conseiller au correcteur de faire sien ce principe désintéressé : « Mon patron m’a payé, donc il ne me doit rien », il est indispensable que le chef de Maison, par un juste retour, ne puisse dire : « Je l’ai payé, je ne lui dois rien. »

Le travail constitue une dette que le salaire éteint périodiquement. Le dévouement est un don qui ne saurait se prêter à l’échange ; sa valeur est différente suivant les circonstances et suivant les hommes. Le dévouement est une vertu, d’autant plus précieuse qu’il est plus entier, plus absolu ; d’autant plus méritoire, qu’il se prodigue sans espoir de récompense ; d’autant plus grande, qu’il s’exerce sans bruit et sans éclat.

Ce serait une faute grave que de prétendre qu’un patron ne sait pas ou ne veut pas apprécier le dévouement de ses collaborateurs. Pour des raisons qu’il serait oiseux de rechercher ici nombre de chefs d’industrie ont cru devoir, depuis quelques années, jeter comme un voile sur leurs sentiments intimes. En était-il de même autrefois ?

Qu’il nous soit permis de rappeler ici une petite anecdote[1] qui prouvera amplement à quel degré le sentiment du devoir était développé autrefois chez le correcteur — et chez le prote — qui comprenait les exigences parfois rigoureuses du travail typographique :

« Dans l’article Imprimerie de l’Encyclopédie (édit. in-folio, 1765) on ne trouve pas de distinction établie entre les fonctions de prote et celles de correcteur. Cet article a été rédigé par le prote (nommé Brullé) de l’imprimerie Le Breton, imprimeur ordinaire du roi, dans un temps où les imprimeries, beaucoup moins considérables qu’elles ne le sont aujourd’hui, permettaient à la même personne d’être à la fois prote et correcteur. Mon père Charles Crapelet, à l’âge de dix-huit ans, était prote et correcteur chez Jean-Georges-Antoine Stoupe, qui avait succédé à Le Breton en 1773. L’imprimerie de Stoupe, alors une des plus fortes de Paris, se composait de dix presses, et tout le zèle et l’habileté du jeune prote suffisaient à peine pour diriger cet établissement comme il le désirait. Il travaillait souvent seul,

  1. D’après l’Imprimerie, n° 111, février 1874 (Discours de M. J. Claye, à la réunion annuelle de sa Maison), et d’après les Études sur la Typographie de G.-A. Crapelet.