Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/242

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but de réglementation et d’harmonie, il est, par contre, indispensable d’exiger, de la part du correcteur de secondes, le respect de l’orthographe d’usage établie par le correcteur de premières. L’un et l’autre doivent suivre la même voie, se conformer à la même règle ; le travail de plusieurs doit avoir l’apparence d’être exécuté par un seul.

Malheureusement, on peut avouer, « bien que cela ne soit pas à l’honneur de la corporation, que fort rarement les correcteurs ont agi ainsi » : « deux têtes sous le même bonnet » ne fut certes jamais un adage dont la gent des correcteurs s’est essayée à prouver la véracité.

Cette situation anormale n’est point, disons-le, exclusive à notre époque. Tout au moins, « c’est ce que l’on peut déduire d’un passage de Restaut[1], grammairien du xviiie siècle, relatif à la réforme orthographique dont on parlait déjà, Dieu nous pardonne ! à cette époque lointaine : « Quoique la langue françoise n’ait presque pas varié depuis environ cent ans (Restaut écrivait en 1751), et que les auteurs du siècle où nous sommes se fassent honneur d’imiter ceux qui ont excellé sur la fin du précédent, cependant l’orthographe a reçu tant de différens changemens, qu’à peine trouve-t-on deux livres où elle soit semblable, s’ils n’ont été corrigés par un seul et même correcteur. Tout le monde reconoit ce défaut, et personne n’y a encore apporté le véritable remède, quoique plusieurs savans écrivains en ayent donné des Traités. »

Nous ne tenterons point d’excuser les correcteurs du xviiie siècle, pas plus que nous ne songerons à innocenter leurs successeurs du xxe siècle. Mais ne peut-on insinuer que, sans doute, ces correcteurs ne furent point les seuls coupables ? Les savants écrivains, qui ne pouvaient faire respecter leur manière d’écrire, avaient-ils ce simple mérite d’appliquer les règles orthographiques qu’ils avaient eux-mêmes tracées ? — On peut en douter.

« L’orthographe de nos grands écrivains du xviie et du xviiie siècle fut souvent des plus fantaisistes ; ainsi on lit fréquemment dans les manuscrits de La Fontaine, de Bossuet, de La Bruyère, de Racine, pour ne citer que quelques personnalités : chés, lons (pour longs), panchant, aprandre, atantif, avanture, massons, pratic, prétension, fidelle, etc.

  1. Né à Beauvais en 1696, mort à Paris en 1764.