Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/251

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qu’elle ne manque ni de raison ni d’à-propos, elle pourrait se retourner aisément contre ses auteurs.

Nombre de correcteurs, non plus, même parmi les plus instruits, même parmi les plus rompus à la correction, ne purent jamais — c’est un fait indiscutable — avoir une ponctuation correcte. Leur éducation n’a point atteint le paragraphe Ponctuation ; pour certains même, il semble que la grammaire n’accueillit jamais ce sujet sous ses lois. La routine, une routine dont on cherche vainement quelque légitime explication, guide seule leurs actes, que la manie du changement fait sans limites et qu’une initiative exagérée rend ridicules.

Tel correcteur lit vite, très vite : sans souci du lecteur, encore moins de l’auteur, il tranche, il émonde ; la phrase est nue, elle est isolée ; elle est longue aussi peut-être, mais elle est vive. Le siècle est le règne de l’électricité, de l’aéroplane : on court, on vole ; la phrase, également. Et cependant que notre homme s’applaudit de son initiative : « nulle crainte d’accident, nulle chance de catastrophe », au premier tournant du chemin son espoir se brise sur une sottise « faute d’un point ». Initiative exagérée !

Tel autre ânonne son texte ; il a longuement médité le proverbe : chi va piano, va sano ; chi va sano, va lontano. Il se hâte, mais il se hâte lentement : il eut toujours un faible pour le festina lente du poète. Son texte est un rocher dont l’ascension lui sera pénible. Au moindre obstacle il se heurte et s’arrête ; il souffle, il respire et ne reprend sa marche en avant que muni d’un point d’appui qu’il veut solide et qui n’est que ridicule. Sa ponctuation est « souffreteuse, bigarrée, équivoque, alourdissante » ; la phrase est hachée, déchiquetée ; à chaque mot le lecteur s’arrête inquiet : la lourde machine arrivera-t-elle jamais au but ? Initiative exagérée !

Ces correcteurs n’ont jamais connu et ne connaîtront jamais l’harmonie de la phrase. Volontairement ou non, ils ignorent que « l’œil doit glisser sur le texte » comme sans heurt et sans bruit coule l’eau courante d’un paisible ruisseau. Volontairement ou non, ils ignorent que « la ponctuation est au texte ce que le miel est au palais ». Plaignons-les de n’avoir point étudié ; et, s’ils ont cherché à s’instruire, plaignons-les encore plus vivement de n’avoir point compris et leur insuffisance et leur exagération.