Aller au contenu

Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cependant, il est bon de le rappeler, le signe du deleatur ne fut nullement emprunté à l’alphabet grec. Pour le prouver, il suffit, d’abord, de rappeler le principe du symbolisme attribué à l’ensemble des signes conventionnels de la correction — le signe du deleatur n’a pu échapper à cette règle, — de rechercher le symbole de ce signe, — enfin de se souvenir que le nom du signe lui-même est un mot latin.

Les premiers typographes furent pour la plupart, on le sait, des lettrés remarquables ; pour la correction de leurs épreuves ils ne dédaignèrent point cependant de s’adjoindre des érudits de premier ordre. La langue latine, la langue grecque aussi furent d’usage courant dans les imprimeries du xve et du xvie siècle : typographes et correcteurs, maîtres imprimeurs et « clients », tous non seulement connaissent, mais parlent le latin à l’instar d’une langue maternelle. Ce n’est point dès lors à l’aide du « beau langage françois » que l’on créera les mots nouveaux que nécessitera à cette époque la technique de l’art de Gutenberg ; Homère et Virgile l’emporteront sans conteste possible. Il n’est donc pas étonnant que, dans notre profession, certaines expressions techniques latines, certains termes tirés directement du grec, en petit nombre, il est vrai, nous soient parvenus tels qu’ils furent employés aux premiers temps de l’imprimerie.

Pour indiquer, sur une épreuve, « le retranchement d’une lettre, d’un signe, d’un ou de plusieurs mots », l’expression typique fut tout naturellement empruntée au latin (langue dans laquelle, il est bon de le rappeler en la circonstance, fut imprimé le premier livre paru à Paris) : au lieu de discuter, d’examiner longuement s’il était préférable d’écrire, en termes vulgaires : ostez, à oster, que ce mot soit ostez, ou enlevez, à enlever, que ce mot soit enlevez, ou tout autre terme équivalent, les savants adoptèrent un seul mot latin — deleatur — qui résume toutes ces expressions.

Mais, le mot accepté, sa répétition incessante parut sans doute fastidieuse ; et la nécessité de l’écrire au long, hors de propos : on décida, ou on fut obligé par la force même des choses, par l’habitude, de le traduire, de le symboliser en un signe, en une lettre unique. Ce fut ainsi, dans un but de clarté, de concision et surtout de rapidité, que les premiers imprimeurs acceptèrent que le mot deleatur serait toujours figuré par une seule lettre : cette lettre fut le d, initiale du mot.

Et ce ne fut point, comme on a pu le croire, à un alphabet étranger, bien que de langue savante, que nos ancêtres eurent recours pour symboliser le mot deleatur. Très simplement, ils se bornèrent à faire appel à l’écriture courante de leur époque. Il est facile de s’en rendre compte à l’examen de nombre de documents : les manuscrits du xve siècle offrent en effet dans la cursive une forme très connue de d minuscule


qui, très légèrement modifiée, se rencontre encore fréquemment de nos jours dans l’écriture courante.

Point n’est besoin d’un long examen comparatif pour reconnaître que le deleatur typographique tel qu’il est employé par Didot, Tassis