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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/475

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L’anecdote racontée par l’Allemand Jérôme Hornschuch n’est pas moins suggestive. Un correcteur avait omis de signaler l’absence dans un mot de la lettre w ; l’omission de cette consonne donnait à l’expression un sens obscène. Le correcteur fut accusé d’avoir négligé volontairement la rectification qui s’imposait ; poursuivi par les soins de l’Université et du Clergé, il fut condamné à être fouetté de verges et chassé honteusement de la ville épiscopale de Wurtzbourg.

Cet exemple de sévérité à l’égard des correcteurs ne fut point isolé. En voici un autre, dont… heureusement — l’expression est un peu osée, en la circonstance — le prétendu coupable n’eut pas à subir lui-même les redoutables conséquences[1]. Un imprimeur allemand — dont nous avons omis de noter le nom — avait apporté à la composition et à la correction d’une traduction de la Bible les soins les plus assidus ; le travail, semblait-il, serait parfait. Cependant à peine était-il mis en vente que l’Université s’inquiétait ; à la requête de l’autorité ecclésiastique, l’imprimeur était arrêté et déféré aux tribunaux. Il allait être condamné lorsqu’un apprenti vint apporter un témoignage inattendu : au cours de la nuit, alors que tout reposait, la femme du maître imprimeur était entrée à l’atelier. Réveillé par cette visite intempestive, l’apprenti avait pu, spectateur muet, assister aux allées et venues de la matrone dont le caractère acariâtre et jaloux supportait malaisément le joug cependant fort paternel du mari. Se croyant à l’abri de regards indiscrets, cette fille d’Ève avait décidé de modifier en faveur de son sexe la sentence prononcée par le Créateur contre la mère du genre humain : « … Vous serez sous la puissance de votre mari, et il sera votre seigneur[2] » (herr, maître) ; et aux lettres he elle avait substitué la syllabe fort différente na : « … et il sera votre fou » (narr, jouet, esclave, bouffon). L’imprudente paya de sa vie un tel outrage à la parole divine.

Bien plus, le Pouvoir royal, loin d’atténuer les conséquences d’erreurs auxquelles ne peuvent échapper les plus parfaits eux-mêmes, rendit les correcteurs responsables de faits à l’encontre desquels ils étaient impuissants : la déclaration du 10 mai 1728 rendait « les

  1. Boutmy (Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 113), qui rapporte également ce fait, paraît le tenir en médiocre estime d’exactitude : Se non è vero…, dit-il avec un certain scepticisme.
  2. Genèse, chap. iii, verset 16.