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Page:Brossard - Correcteur typographe, 1924.djvu/535

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employés à des travaux purement manuels gagnaient un salaire plus élevé que les typographes au service de Plantin. Ainsi, nous constatons que Plantin lui-même paie, en octobre 1578, à un ouvrier ardoisier 16 sous par journée. Le maître maçon gagne régulièrement, été et hiver, 12 sous ; le compagnon, 10 sous ; et son aide, 6 sous par jour. En 1578-1579, Plantin paie, en octobre, au maître charpentier 20 sous et aux ouvriers 16 ou 17 sous ; en juin, 20 sous au maître, et 18 sous au compagnon. En comptant l’année à 300 jours ouvrables, l’ouvrier maçon gagnait donc 150 ; l’ardoisier, 240 ; et le charpentier 255 florins par an[1].» Ni Kiliaan, ni van den Eynde, ni les autres collaborateurs de Plantin — à part Raphelengien — ne purent songer à rémunérations semblables.

Cet exemple n’est pas le seul que nous puissions opposer à la thèse de M. Mellottée : Couret de Villeneuve, qui fut imprimeur aux dernières années du xviiie siècle et dès lors homme certes bien placé pour juger de la réalité des choses, émet à propos des salaires du prote, du correcteur — notre sujet favori — et aussi de l’ouvrier compositeur, une appréciation qui concorde bien peu avec celle de M. P. Mellottée et semble donner vraiment raison au pessimisme maintes fois exprimé par M. L. Radiguer, dans son volume Maîtres imprimeurs et Ouvriers typographes. On nous pardonnera d’allonger notre sujet de quelques lignes qui nous semblent capitales :

« Convenons que depuis trop longtemps les ouvriers probes et intelligents gémissent sous le poids de la plus basse cupidité. Les entrepreneurs avides de gains illicites les regardent comme des leviers sur lesquels ils exercent leur puissance, les idées de justice se neutralisent

  1. Max Rooses, Christophe Plantin, imprimeur anversois, p. 243.
    Le journal de Marguerite Plantin, la fille aînée du maître imprimeur, met particulièrement en évidence cette situation pour le moins singulière « Les ouvriers n’ont-ils pas eu l’idée, l’autre jour, d’interrompre tous le travail au moment du plus grand coup de feu, espérant ainsi forcer mon père à les rétribuer plus grassement. Ils disent à cela que les compagnons employés à des occupations purement manuelles gagnent davantage qu’eux avec moins de peine ; et que là où un typographe, compositeur ou pressier, gagne en moyenne 7 sous par jour, soit 105 florins par an à trois cents jours ouvrables, un compagnon ardoisier gagne 16 sous, un maçon 10 sous, et un charpentier 18 sous ; soit, en comptant pareillement l’année à trois cents jours ouvrables, 150 florins pour le maçon, 240 pour l’ardoisier, et 255 pour le charpentier. Il est certain que tout cela n’est que trop vrai ; mais c’est précisément l’honneur des choses de l’esprit de ne pas rapporter seulement que des bénéfices ils… » — Cette grève, qui eut lieu en août 1577, dura deux jours : « Dès l’aube du troisième jour les ouvriers étaient tous à la porte de l’imprimerie en vêtements de travail et leur barrette à la main ; et depuis, ils ont si bien besogné qu’ils ont rattrapé le temps perdu. »