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coliquement le fleuve, immobiles et raides comme des troncs d’arbre. Les Européens qui aiment le tir s’exercent sur ces cibles vivantes et ne laissent guère les carabines en repos. On voit également beaucoup d’oiseaux aquatiques.

Un peu avant d’arriver à Lirranga on trouve de nombreux villages d’Irêbous. Ces indigènes sont passés sur notre rive depuis trois ou quatre ans, fuyant l’État indépendant où l’on voulait les forcer manu militari à récolter du caoutchouc. Ils ont lutté avec une grande bravoure en rase campagne et ont même tenté d’enlever un poste sur le lac Toumba. À plusieurs reprises ils ont anéanti des détachements de réguliers et mangé plusieurs blancs.

Maintenant ils reconnaissent notre autorité, et tout récemment ils nous ont fourni des pirogues pour monter un convoi de Lirranga à Bangui.

Tous les Bafourous, les Irêbous, les Boubanguis sont de grands commerçants qui vont très loin dans la Sangha, la Likouala, et l’Oubangui acheter de l’ivoire et des esclaves.

Lirranga est le seul poste occupé entre Brazzaville et Bangui sur 1,500 kilomètres de fleuve. Lors de mon passage, il n’y avait qu’un chef de poste, qui lui-même n’avait à sa disposition comme garnison qu’un Sénégalais ! Aussi avait-il armé quelques déserteurs belges.

Voilà bien un exemple qui prouve que le fonctionnarisme ne règne pas toujours dans les colonies françaises. Il faut même noter qu’à l’intérieur du Congo il y a presque toujours défaut de personnel blanc et noir. On a toutes les peines du monde à entretenir son poste, à assurer le service courant, et il est fort difficile, sinon impossible, de faire du nouveau, de reconnaître un coin de ces blancs immenses qui couvrent la carte et d’entrer en relation avec les populations qui s’y trouvent. Notre action est faible, et si l’on veut un jour arriver à percevoir des impôts, il faudra augmenter considérablement les moyens mis à la disposition de l’autorité. À 1 kilomètre du poste en aval, il y a une mission prospère, la mission Saint-Louis, construite ainsi que son église par le Père Allaire qui est mort, en 1897, à la peine.

Aussitôt après avoir dépassé Lirranga on est en plein delta de l’Oubangui. Il est encombré d’un fouillis inextricable d’îles inexplorées. Un peu en amont, ce fleuve a une largeur moyenne de 2 à 3 kilomètres. La végétation est splendide : les arbres, gigantesques, de mille espèces diverses, se reflètent dans les eaux du fleuve ; beaucoup de lianes descendent des cimes en s’entrecroisant, et nombre d’entre elles donnent du caoutchouc. Çà et là des palmiers Borassus, ou Elaïs guineensis, dressent leurs panaches, qui donnent au paysage la physionomie que l’on est convenu d’appeler tropicale, car les autres arbres, à part leur dimension, ne diffèrent guère comme port et aspect général de ceux de nos pays. La présence de ces